« Eh bien ! Écoute mes propos : car l’étude développe l’esprit »
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- Se trouve ici le célèbre fragment de la Physique d’Empédocle de la BNU, provenant de l’une des œuvres du philosophe grec du Ve siècle avant notre ère. Ce fragment, malgré sa brièveté, porte des informations cruciales sur la doctrine présocratique, mais possède aussi une histoire peu commune.
informations détaillées
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- « Eh bien ! Écoute mes propos : car l’étude développe l’esprit »
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- Se trouve ici le célèbre fragment de la Physique d’Empédocle de la BNU, provenant de l’une des œuvres du philosophe grec du Ve siècle avant notre ère. Ce fragment, malgré sa brièveté, porte des informations cruciales sur la doctrine présocratique, mais possède aussi une histoire peu commune.
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Ce papyrus a été acheté en 1904 par l’archéologue allemand Otto Rubensohn chez un antiquaire de la ville d’Achmîm, anciennement Panopolis, en Haute-Égypte. Or le papyrus n’était pas comme il apparait actuellement sous nos yeux : il servait de support à une couronne funéraire. En effet, le texte d’origine avait été découpé de sorte à former des bandes puis avait été accolé à la couronne pour être enfin recouvert de feuilles de cuivres. Une fois le papyrus séparé de la couronne, il fut distribué d’Égypte à Berlin pour finir à Strasbourg. Ce n’est qu’en 1990 qu’Alain Martin, épaulé à partir de 1994 d’Oliver Primavesi, commença à étudier le document qui deviendra emblématique pour la collection strasbourgeoise.
Mais ce document n’est en 1994 pas intelligible puisque de la séparation avec la couronne résultent 52 petits fragments. Peu à peu, ils sont travaillés pour enfin révéler 74 hexamètres dactyliques, forme de versification poétique courante dans l’Antiquité. Après études et comparaisons, les deux chercheurs parviennent à placer ce papyrus dans les Livres I et II de la Φύσικα (Phusika, Physique) d’Empédocle, philosophe présocratique du Ve. Il a notamment inspiré les travaux d’Aristote, présentant la nature comme soumise à 6 principes : les quatre éléments (l’Eau, la Terre, le Feu, l’Air) ajoutés à l’Amour et à la Haine, l’Amour unissant les particules et la Haine détruisant les liens.
Ce papyrus est très célèbre dans notre collection en raison de ses nombreux apports. Bien que ce ne soient « que » 74 vers qui nous furent transmis, ils ont permis de clarifier les sources philosophiques de certaines idées d’Aristote et donc d’avoir une idée plus exacte de la doctrine d’Empédocle, sur la formation du monde, l’idée de la vie et de la mort, la démonologie, etc… Il permet par exemple de justifier la vision d’Aristote concernant des procédés d’unification et de séparation, une fin prochaine pour notre monde à cause de la Haine croissante mais aussi le rôle important des démons dans la création de notre monde ; des faits qui ont pu être éclaircis grâce à ce fragment. Néanmoins il reste encore de nombreuses questions qui restent ouvertes et sujettes à interprétation.
Le verso du papyrus étant vierge, il ne peut s’agir à l’origine que d’un volumen, un rouleau entier consacré à une seule œuvre. L’écriture en elle-même est très propre et soignée. Aucune séparation entre les mots n’est faite, donc encore une fois nous sommes face à un mode de sciptio continua, d’écriture continue. Il est une chose intéressante à noter : en dehors du texte, il est un signe qui attire particulièrement notre regard. Sur le premier fragment, en bas au milieu des deux colonnes, nous trouvons en marge un gamma majuscule (Γ) ; il s’agit d’une indication dite « stichométrique » qui précise le nombre de vers copiés jusque-là, et donc ce qu’il faut payer au copiste. Cela permet de placer un extrait dans une œuvre car nous savons dès lors qu’il s’agit du 300ème vers, le gamma (γ) étant la troisième lettre de l’alphabet grec et les vers étant comptés par centaine. Outre cela, nous trouvons aussi des traces de corrections de la part du scribe sur sa propre copie et d’un correcteur (διορθωτής, diorthôtés). L’étude plus approfondie du document permet de le dater du Ier siècle de notre ère.
Traduction d’un extrait :
« Eh bien ! Écoute mes propos : car l’étude développe l’esprit. Comme je l’ai dit précédemment déjà en définissant le champ de mes propos, je dirai deux choses : tantôt en effet l’Un crût, en telle manière qu’il existait seul à partir du Multiple, tantôt au contraire il se divisa, en telle manière qu’à partir de l’Un existait le Multiple, – feu, eau, terre et hauteur immense de l’air, la Haine funeste à l’écart d’eux, pesant partout d’un poids semblable, et l’Amour parmi eux, égal en longueur et en largeur. Contemple-le, toi, à l’aide de la pensée et ne reste pas assis, le regard stupide : c’est lui qui, pense-t-on est implanté aussi dans les membres des mortels, c’est à cause de lui qu’ils conçoivent des pensées aimables et qu’ils accomplissent des actes harmonieux, en le désignant des noms de Joie et d’Aphrodite. […] Toutes ces choses sont, par leur origine, égales et du même âge, mais elles exercent une fonction différente, elles ont chacune leur caractère et, quand vient leur tour, dans le cours du temps, elles prédominent. » (v.245-260, traduction proposée par Alain Martin et Oliver Primavesi).
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- « Eh bien ! Écoute mes propos : car l’étude développe l’esprit. Comme je l’ai dit précédemment déjà en définissant le champ de mes propos, je dirai deux choses : tantôt en effet l’Un crût, en telle manière qu’il existait seul à partir du Multiple, tantôt au contraire il se divisa, en telle manière qu’à partir de l’Un existait le Multiple, – feu, eau, terre et hauteur immense de l’air, la Haine funeste à l’écart d’eux, pesant partout d’un poids semblable, et l’Amour parmi eux, égal en longueur et en largeur. Contemple-le, toi, à l’aide de la pensée et ne reste pas assis, le regard stupide : c’est lui qui, pense-t-on est implanté aussi dans les membres des mortels, c’est à cause de lui qu’ils conçoivent des pensées aimables et qu’ils accomplissent des actes harmonieux, en le désignant des noms de Joie et d’Aphrodite. […] Toutes ces choses sont, par leur origine, égales et du même âge, mais elles exercent une fonction différente, elles ont chacune leur caractère et, quand vient leur tour, dans le cours du temps, elles prédominent. » (v.245-260, traduction proposée par Alain Martin et Oliver Primavesi).
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- • Martin (A.) & Primavesi (O.), L’Empédocle de Strasbourg (P. Strasb. Gr. Inv. 1665-1666), Introduction, édition et commentaire, BNUS, 1999.
- https://biblio.bnu.fr/opac/resource/BUS0866883
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- P. Gr. 1665 et P. Gr. 1666
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- 1er siècle AD: AD 1 - 99