Lettre d'un industriel des montagnes des Vosges à MM. Gros, Odier, Roman & Cie, à Wesserling, distribuée aux membres des deux Chambres et du Ministères
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informations détaillées
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- Lettre d'un industriel des montagnes des Vosges à MM. Gros, Odier, Roman & Cie, à Wesserling, distribuée aux membres des deux Chambres et du Ministères
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Auteur : Daniel Legrand (1783-1859) dirige une fabrique de rubans de soie fondée en 1813 par son père Jean-Luc Legrand (1755-1836), originaire de Bâle, qui répondait à l’appel du pasteur Oberlin, soucieux de trouver du travail pour ses paroissiens déshérités. De ses origines, l’entreprise garde son caractère « d’industrie de famille » fondée sur le travail à domicile. Daniel Legrand, qui succède à son père en 1836, renonce d’ailleurs à la mécanisation « pour ne pas sacrifier les intérêts moraux aux intérêts matériels ». A partir des années 1830, il prend position par des lettres ouvertes publiées sur la question sociales, notamment sur le travail des enfants (rassemblées par Norbert Olszak, in Legrand Daniel, Sur le travail des enfants dans les manufactures, 1830-1855, Paris, EDHIS, 1979). La BUSIM ne conserve que trois de ces lettres.
Commentaire : Cette lettre est adressée aux dirigeants de la manufacture de Wesserling en hommage à leur « sollicitude pour l’amélioration physique et morale de la classe ouvrière (p. 3) et à leur « dévouement charitable » qui contraste avec la cupidité d’autres industriels (p. 5). La citation mise en exergue sur la couverture (extraite de p. 14) renseigne d’emblée sur le positionnement de Legrand : hostile à l’idéologie des droits de l’homme et aux excès du libéralisme, ce protestant réformé entend agir en moraliste, réaffirmant le primat des lois divines et des devoirs de l’homme envers la famille et la société. Sa démarche est donc assez différente de ses confrères et coreligionnaires mulhousiens. A noter la mention, au bas de la couverture, du reversement du prix de la brochure aux salles d’asiles, c’est-à-dire aux classes maternelles dont la paternité revient à Louis Scheppler au Ban de la Roche. En 4e de couverture, la main de Dieu sort d’un nuage pour tenir la balance de la justice.
C’est donc au nom de la morale religieuse que Daniel Legrand interpelle ses lecteurs, y compris lorsqu’il fait référence à l’avance des Anglais, « plus religieux que nous », en matière de réglementation du travail (p. 4), mais il n’élude pas les arguments rationnels en dénonçant par exemple les excès de la concurrence de la grande industrie ou en citant le précurseur de l’économie sociale, Sismonde de Sismondi (p. 8-9). En réalité, il joue sur les deux registres et passe aisément de l’un à l’autre : moral quand il condamne le travail des « enfants du sexe », c’est-à-dire des filles avant 18 ans dans des ateliers mixtes ou la nuit (p. 9-10), rationnel lorsqu’il veut démontrer, exemple à l’appui que la productivité augmente avec la réduction des heures de travail (p. 10-11). Il plaide aussi pour sa propre cause quand il vante l’alliance de l’industrie et de l’agriculture, ainsi que les bienfaits de l’industrie de famille. Ces considérations le conduisent à énoncer un certain nombre de principes, notamment l’interdiction du travail à moins de 12 ans « dans les fabriques », mais… pas dans l’industrie de famille.
Après avoir souligné les contradiction du système capitaliste en abordant la consommation, la concurrence, les crises de surproduction qui reviennent tous les 7 ans (p. 13-14), Legrand lance un appel aux ministres et aux parlementaires en mettant dans la balance une description sordide et moralisatrice des enfants-ouvriers (« ces jeunes garçons de six à douze ans, déjà la pipe à la bouche…, p. 14-15) et ces « quelques centimes par aune de calicot qu’on espère épargner ».
Comme il le reconnaît lui-même, au lieu de conclure (« nous devrions poser la plume… », p. 15), il rebondit par un vibrant plaidoyer en faveur des salles d’asile et du développement de l’instruction publique qui doit être morale et religieuse. Il trouve des accents apocalyptiques en soulevant « le voile épais des intérêts purement matériels » (p. 18). Il termine par quelques thèmes qui lui sont cher, l’injustice des impôts, notamment sur le sel, la nécessaire diffusion de l’influence des caisses d’épargne dans les campagnes et le vote d’une loi imposant le repos du 7ème jour. La dimension religieuse de la démarche est encore soulignée par cette phrase conclusive écrite en capitales : « La civilisation d’une nation, c’est sa foi ! » (p. 20).
S’il ne faut pas se dissimuler que le point de vue de Legrand est fondamentalement réactionnaire, qu’il défend aussi son entreprise, archaïque et artisanale dans son organisation, sa sincérité ne saurait être mise en doute. Son discours est très attachant par sa fougue, son désordre même, la passion qui s’y exprime, mais aussi par certains de ses accents anticapitalistes. Il se situe quelque-part entre un prêche et un écrit de socialiste utopique.
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- Lettre d'un industriel des montagnes des Vosges à MM. Gros, Odier, Roman & Cie, à Wesserling, distribuée aux membres des deux Chambres et du MinistèresLegrand, Daniel
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- Br 3609-3